Alexandre Scriabine, de naissance Alexandre Nikolaïevitch Scriabine, est un musicien d’origine russe. Pianiste, compositeur mais également poète, il naît à Moscou le 6 janvier 1872, dans une famille noble. Sa mère, pianiste, meurt lorsqu’il est enfant alors que son père, diplomate, est envoyé en mission en Empire Ottoman. Le jeune Alexandre est donc élevé principalement par sa grand-mère, et sa tante, qui l’initie aux bases du piano, instrument qu’elle maîtrise comme sa sœur.
À peine âgé d’une dizaine d’années, Scriabine intègre l’École Militaire de Moscou dans la lignée de son père et de son oncle. Il y a cependant le privilège de pouvoir substituer des heures d’entraînement physique par des heures de cours de piano sous la tutelle des pianistes et professeurs Georges Conus et Nikolaï Zverev. Il rédige alors ses premiers poèmes associés à des compositions modestes.
Lorsque Scriabine a 16 ans, le directeur du Conservatoire de Moscou reconnaît son talent et l’admet sans concours d’entrée dans les classes de piano de Vassili Safonov et de composition d’Anton Arenski, dont il ne terminera pas le cours en raison de désaccords esthétiques. Dans son cursus, Scriabine découvre de nombreuses œuvres dont celles de Chopin qui influencent fortement ses premières compositions. C’est également le lieu de rencontres de musiciens à la notoriété établie ou en devenir, dont le jeune Sergei Rachmaninov, lui-même élève. Ce dernier devient à la fois un ami et une source de rivalité, gagnant La Grande Médaille d’Or contre la Petite Médaille d’Or pour Scriabine en piano en 1892. Il y rencontre également la pianiste Vera Ivanovna Issakovitch qu’il épouse cinq ans après leur sortie de l’établissement musical. De leur union naîtront quatre enfants : Rimma, Elena, Maria et Lev. Elena Scriabine perpétuera la tradition familiale musicale en épousant le pianiste russe Vladimir Sofronitzky.
Au sortir du conservatoire, Alexandre a pour ambition de devenir pianiste mais est vite freiné par un accident qui lui cause une paralysie temporaire de la main droite qui restera affectée et plus faible que sa main gauche. Ce déséquilibre joue un rôle dans la conception de ses pièces, dont il publie un premier recueil aux éditions Jurgenson la même année. Il rencontre également Mitrofan Belaïev et le couple Mikhaïl Morozov et son épouse Margarita Morozova, qui deviennent ses mécènes et lui permettent de mener une carrière respectivement en Europe et en Russie. Ses déplacements à l’ouest du continent, en particulier à Paris, sont l’occasion pour lui de faire de premières rencontres aux intérêts plus philosophiques, notamment avec des représentants du courant symboliste.
En 1898, Scriabine devient professeur de piano au Conservatoire de Moscou, où il enseigne jusqu’en 1902. Il s’éprend de l’une de ses élèves, Tatiana de Schloezer, pour qui il quitte sa femme sans pouvoir pour autant divorcer tout de suite. Le jeune couple se marie civilement en Italie et a une fille, Ariane, un fils Julian (1908), et une fille cadette, Marina (1911). L’aînée, Ariadna Scriabina en russe, deviendra une poétesse et une figure de la résistance juive en France. Julian présente des dons pianistiques similaires à ceux de son père mais il mourra prématurément. La famille déménage à plusieurs reprises à Paris, Bruxelles, puis retourne en Russie. Ces voyages sont l’occasion d’enrichissements intellectuels pour le musicien. Il décède le 27 avril 1915, peu après son père, probablement d’une infection.
Alexandre Scriabine, philosophe en quête d'innovation
Dès ses débuts au clavier, Scriabine s’initie à la composition, qu’il souhaite associer à des poèmes. Il tient dès lors des carnets dans lesquels il note ses réflexions philosophiques et ses idées poétiques et musicales. De ses voyages en Europe naît son intérêt pour le symbolisme, au contact des poètes Baudelaire ou Konstantin Balmont, mais aussi des compositeurs tels que Debussy, Liszt, Beethoven ou encore Wagner, qui sont des sources d’inspiration esthétique.
Porté par ses idées poétiques, Scriabine s’inspire des poèmes symphoniques de son confrère Liszt et compose ses premières œuvres pour orchestre. Il compose trois Symphonies entre 1900 et 1904, toutes trois mal reçues. Elles sont innovantes par leur forme en cinq à six mouvements et par leur conception orchestrale dense, inspirée par Wagner et les œuvres symphoniques de Beethoven où interviennent chœurs et chanteurs solistes. Le maître russe débute la composition d’un opéra évoquant l’histoire de Zarathoustra : il restera inachevé.
Outre ses symphonies jugées trop ambitieuses ou hors-normes par ses contemporains, le compositeur russe s’évertue à la composition de deux poèmes symphoniques, qui démontrent à la fois sa conception très intellectuelle de la musique et son style musical, en particulier sur le plan harmonique novateur, telles que pressenties dans sa troisième symphonie « Divin Poème ». Deux ans est créé le Poème de l’Extase, considéré comme sa quatrième symphonie. Scriabine propose son œuvre comme un chemin d’accès au divin par la volupté, voire la sexualité orgiaque assumée. Cette affiliation au mouvement de la théosophie est notifiée par les indications de jeu inscrites sur la partition et évoquant un lexique lié à des états d’ivresse et de langueur physique.
Ses ambitions intellectuelles empreintes de mysticisme seront mal comprises de son vivant. Sa conception harmonique s’éloigne progressivement avec le langage tonal académique pour retrouver un langage modal, parfois proche des travaux d’Olivier Messiaen qui ne citera pourtant jamais l’esthétique de son confrère russe, sans pour autant employer un langage aussi élargi que celui d’Arnold Schoenberg dont il était plutôt sceptique. Elles sont pour lui un vecteur de création dont l’aboutissement est probablement son second poème symphonique, Prométhée ou le Poème du Feu, œuvre concertante pour piano, orchestre, orgue et chœur, qu’il imagine comme une œuvre d’art totale où les notes seraient converties en couleurs immergeant la scène et amenant à l’extase, à la transcendance synesthésique du public comme des musiciens.
Alexandre Scriabine, pianiste virtuose
Scriabine débute le piano très jeune grâce à sa tante. Lorsqu’il a huit ans, le pianiste émérite Anton Rubinstein (qui n’a pas de lien de parenté avec son Arthur Rubinstein) reconnaît ses prédispositions et l’encourage à se former aussi bien sur le plan musical qu’intellectuel.
Le musicien compose un nombre conséquent d’œuvres pour piano, dont dix sonates et un Concerto. Il est empreint d’un style romantique assez proche du Concerto de son ami Rachmaninov, mais la critique, en particulier américaine, lui reproche une orchestration académique et peu originale. L’œuvre recevra cependant un accueil favorable du vivant du compositeur, qui le jouera plusieurs fois notamment dans son pays. Parmi ses autres œuvres pianistiques, on trouve de nombreuses études, des mazurkas et des préludes. Ses sonates sont en particulier les témoins de l’évolution du style de Scriabine, inspiré par Chopin, puis Liszt et Wagner, et enfin par sa conception synesthésique de la musique.