Si Beethoven n’avait pas été en froid avec le violoniste britannique George Bridgetower, la Sonate n° 9 pourrait bien être connue comme la Sonate « À Bridgetower », du nom du musicien à qui elle était dédiée et qui l’avait créée aux côtés du compositeur. Mais suite à une querelle à propos d’une femme, Beethoven change la dédicace et depuis 1803, des générations de violonistes se brisent les doigts sur la Sonate « À Kreutzer ». Bien plus tard, en 1889, Tolstoï s’en inspire pour écrire une nouvelle, La Sonate à Kreutzer (qui fera scandale à sa publication pour son contenu violent et ses nombreuses références à la sexualité), dans laquelle la musique de Beethoven joue un rôle de premier plan. Et en 1923, le compositeur tchèque Leoš Janáček puise à son tour son inspiration dans la nouvelle de Tolstoï pour composer son premier quatuor.
Au cours de ce concert de 2018, le Bennewitz Quartet, spécialiste du répertoire tchèque, interprète les deux quatuors à cordes de Janáček au sein de la splendide Villa Tugendhat de Brno (dessinée par Mies van der Rohe et Lilly Reich), baignée de lumière et sise dans un écrin de nature. Le Quatuor n° 1 « Sonate à Kreutzer » précède le n° 2 : « Lettres intimes » (composé en 1928), qui fait référence à la relation épistolaire platonique intense qu’entretient le compositeur dans les dernières années de sa vie, avec une jeune femme mariée. Janáček a alors presque 75 ans, et la pièce mêle un lyrisme incroyable à une esthétique progressive très recherchée. De l’avis de l’écrivain Milan Kundera, ces deux quatuors constituent « l’apogée de son œuvre ».
