Lors d'un concert d'adieux mémorable à Londres en 1965, Stravinsky chef d'orchestre dirige Stravinsky compositeur.
Ce film nous invite à revivre un concert historique : les adieux d'Igor Stravinsky au Royal Festival Hall de Londres en 1965, alors qu'il a quatre-vingt-trois ans. Pour faire cesser les rappels et les applaudissements, le compositeur-chef d'orchestre finira par revenir sur scène en manteau, coiffé de son chapeau.
Né en Russie en 1882 où il passe les vingt-sept premières années de sa vie, il vivra vingt-neuf ans en France et en Suisse, avant de quitter l'Europe pour les États-Unis où il meurt en 1971. Comme le dit si justement Milan Kundera dans Les Testaments trahis, « sa seule patrie, son seul chez-soi, c'était la musique, toute la musique de tous les musiciens. » Partout chez lui puisque de nulle part, changeant sans cesse de style et de manière musicale, il reste toujours le même dans toutes ses expériences. C'est le formidable paradoxe de celui qui a provoqué le plus grand big bang de l'histoire musicale avec la création du Sacre du printemps en 1913.
Trois ans auparavant, le 25 juin 1910, le ballet L'Oiseau de Feu était créé à l'Opéra de Paris sous la baguette de Gabriel Pierné. C'est avec la Suite n°3 tirée de cette œuvre que Stravinsky choisit de faire ses adieux au public londonien. Il faut le voir, silhouette cassée, marchant péniblement, s'emplir d'énergie devant les musiciens du New Philharmonia Orchestra et se transformer, comme sous l'effet d'un coup de baguette magique, pour diriger sa musique. Sa patrie, son chez-soi.
Un autre Igor, Markevitch celui-là, russe lui aussi, émigré lui aussi, partenaire des ballets russes lui aussi, compositeur et chef d'orchestre lui aussi. Comment n'auraient-ils pas été amis ? Mais contrairement à Stravinsky, Igor Markevitch a fini par se consacrer uniquement à la direction d'orchestre, tout en se mettant au service des compositeurs contemporains.
Ce soir de 1967, il défend à la tête de l'Orchestre Philharmonique et des chœurs de l'ORTF la Symphonie de Psaumes de l'autre Igor, une œuvre symphonique et chorale belle comme une cathédrale. Cette cathédrale, Stravinsky l'a écrite pour le cinquantième anniversaire de l'Orchestre de Boston, sur des textes en latin qu'il a choisis dans la Bible. Sous l'impulsion de Markevitch, l'orchestre complètement électrisé bâtit devant nous ce monument sonore.
Archives :
- Stravinsky, L'Oiseau de feu, Suite n°3 (1945). Réalisé par Brian Large, au Royal Festival Hall, Londres, 14 september 1965, archive BBC.
- Stravinsky, Symphonie de Psaumes. Réalisé par Denise Billon, au Royal Festival Hall, Londres, 14 september 1965, archive INA.