Yuja Wang a tout du phénomène. Un an après avoir commencé le piano à l'âge de six ans, elle donnait son premier concert. Aujourd'hui, la jeune trentenaire chinoise figure parmi les pianistes les plus éminents de notre époque. Au sein du De Doelen de Rotterdam, elle a ébloui le public en interprétant aux côtés de l'Orchestre philharmonique de la ville, le Concerto pour piano n°4 de Rachmaninov. Une pièce rare que le compositeur russe a remaniée plusieurs fois.
« Il suffit d'écouter sa musique ! C'est la plus sensuelle et la plus passionnée qui soit : je ne sais pas où il est allé chercher tout cela, » s'interroge Yuja Wang. « À chaque fois que je joue sa musique, c'est l'émerveillement : c'est un cadeau ! », assure-t-elle dans un sourire.
L'œuvre est tout aussi exceptionnelle aux yeux du chef d'orchestre principal de Rotterdam et nouveau directeur musical du Metropolitan Opera de New York Yannick Nézet-Séguin : « On est frappé par sa puissance, mais aussi par ses nombreux moments de rêve où l'on a l'impression que tout part dans l'atmosphère comme des lucioles, des choses qui s'allument et tout de suite après, s'éteignent : c'est un concerto du secret pour moi, » estime-t-il.
Yuja Wang évoque pour nous, le deuxième mouvement : « Il commence comme une introduction : c'est comme si on était à New York dans un bar de jazz... ou plutôt à Los Angeles ! » [elle s'interrompt pour jouer]. « Il y a des allusions et des éléments de toutes ses autres œuvres », ajoute-t-elle avant d'interpréter le Concerto n°2. « En réalité, cette pièce est comme un oignon [rires] : couche après couche, on découvre là où il en était quand il était très âgé, » fait remarquer la jeune pianiste.
Ce morcellement fait écho aux différentes étapes de la vie de Rachmaninov : peu avant la révolution d'Octobre en 1917, il s'enfuit dans l'ouest de l'Europe, puis rejoignit les États-Unis avant de s'installer en Suisse. La Seconde Guerre mondiale le poussa ensuite à repartir outre-atlantique. Quitter son pays... Yuja Wang a vécu cette expérience en partant de Pékin pour entamer à 14 ans, une carrière aux États-Unis. «J'ai visité la maison [de Rachmaninov] en Suisse, c'était tellement inspirant, il y avait son piano, j'ai pu le toucher et il y avait toutes les photos,» se souvient-elle. «C'est là que l'inspiration lui est revenue ; il a dû quitter la Suisse pendant la Seconde Guerre mondiale et il a composé toutes ces pièces aux États-Unis ; il n'est jamais retourné en Suisse et il le savait probablement quand il est parti,» explique-t-elle. «Donc, il y a chez lui, cette incertitude de ne jamais savoir ce que la vie nous réserve,» affirme Yuja Wang.
Enfin, Yannick Nézet-Séguin salue le brio de la musicienne : « Yuja a beaucoup d'énergie [rires]. L'énergie vient de la musique, je pense : quand on est musicien, on veut faire de la musique, en manger, en boire à toute heure : ce n'est pas une profession, c'est une vocation, » insiste-t-il.