C'est ainsi que le critique musical français Clarendon – le nom de plume de Bernard Gavoty – intitula son article du Figaro, le 30 janvier 1973. Le jour précédent, Isaac Stern avait donné en concert deux des concertos pour violon de Mozart, avec l'Orchestre de Chambre de l'ORTF sous la direction d'Alexandre Schneider. Le concert faisait partie d'un cycle initié par Pierre Vozlinsky pour la télévision française, dont le but était d'enregistrer tout les grands concertos de Mozart.
Afin de promouvoir l'événement, et de s'assurer que tout était prêt pour l'enregistrement, chaque séance dans les studios des Buttes-Chaumont fut précédée d'un concert au Théâtre des Champs-Elysées. Vozlinsky avait besoin des plus grands solistes, ainsi que d'un chef d'orchestre capable de réveiller l'Orchestre de Chambre de l'ORTF de sa léthargie habituelle. Comme naturellement, c'est le nom d'Alexander Schneider qui vint à l'esprit de Vozlinsky. Schneider avait été pendant des années le second violon du Quatuor de Budapest, et avait formé de nombreux ensembles, notamment autour du grand violoncelliste Pablo Casals, d'abord à Prades puis à Puerto Rico. C'était aussi l'un des piliers de la Marlboro Music School et de son festival. Et tout le monde savait qu'il nourrissait une passion pour le répertoire classique.
L'enthousiasme et le charisme de "Sasha", ainsi que tout le monde le surnommait, fit en effet des merveilles, si bien que l'Orchestre de Chambre de l'ORTF semblait transformé. Mais ce qui est peut-être le plus frappant lorsqu'on regarde ce film, c'est la complicité professionnelle de Schneider et de Stern. Amis proches et collègues depuis près de quarante ans, les deux hommes se sont connus en 1935, quand Stern alla écouter le Quatuor de Budapest dans l'intégrale des quatuors à cordes de Beethoven et de Bartok, au Mills College en Californie. Stern avait alors quinze ans, et fut ébloui par la perfection du jeu et l'intensité de l'engagement émotionnel des musiciens.
Sasha eut également un rôle-clef dans l'une des rencontres les plus décisives de la carrière du violoniste : celle avec Pablo Casals, qu'il convainquit de sortir de sa retraite pour célébrer le bicentenaire de la mort de Bach, en jouant et en dirigeant au Festival de Prades en 1950. Casals lui demanda d'inviter deux jeunes musiciens à jouer avec lui. Sasha choisit Eugene Istomin et Isaac Stern. Le jeune violoniste sentit que Casals lui ouvrait les portes d'un jardin exquis, dont il avait certes depuis longtemps convoité l'existence, mais qui lui était resté jusqu'à lors secrètement caché.
« La liberté, la liberté, mais dans l'ordre ! » Le motto de Casals fut une révélation pour Isaac Stern, quelque chose qu'il comprit dès leur première rencontre, qui prit la forme d'une séance de répétition du Double Concerto pour violon de Bach, avec Casals au piano et Schneider au second violon. « Ce fut le moment le plus important de tout ma vie, parce que même si j'avais confiance en mon talent, en mon instinct, et en mes principes, je me voyais désormais approuvé dans mes convictions musicales par cette première rencontre avec l'univers de Pablo Casals. »
Dans son article, Clarendon imagine Stern se disant, au milieu de l'Adagio du Concerto pour violon n°3 de Mozart : « Comme c'est beau ! J'ai joué ce concerto partout dans le monde, mais il me semble que je le découvre ce soir pour la première fois. » C'était le concerto que Stern jouait le plus souvent, et celui qu'il enregistra en premier, en mars 1950, avec un petit orchestre de chambre monté pour l'occasion. Malgré le plaisir que cela lui avait alors procuré, il refusait généralement d'endosser le double rôle de soliste et de chef d'orchestre, car il considérait qu'il n'y a rien de plus stimulant pour un soliste que de voir un chef d'orchestre insuffler des idées neuves à la pièce qu'ils jouent ensemble.
Par la suite, il enregistra les concertos de Mozart avec George Szell et Alexander Schneider. Ces morceaux de bravoure ont fait d'Isaac Stern l'un des plus grands interprètes mozartiens de son siècle. On a souvent dit qu'il jouait de sorte à ce que les concertos parlent directement à ses auditeurs, sur une intonation infiniment persuasive. Ses interprétations n'essayent pas d'être originales, mais au contraire, elles nous donnent un sentiment d'authenticité, de quelque chose de complètement évident. Et bien qu'ils évitent tout sentimentalisme, les mouvements lents nous émeuvent bien souvent jusqu'aux larmes. Clarendon avait raison : Stern était chez Mozart comme chez lui.
Les trois concertos de Mozart ont été enregistrés à Paris le 29 janvier 1973. Les autres pièces sont des extraits d'un concert à la Salle Gaveau à Paris, le 1er avril 1965.