L’opéra de Bruxelles a retrouvé le 5 septembre dernier, les murs du Théâtre royal de La Monnaie après deux ans de travaux. Et c’est le compositeur de la maison, Philippe Boesmans, qui a eu l’honneur d’inaugurer les lieux avec son septième opéra.
Gepetto contemporain, il a mis en musique le Pinocchio écrit par le Français Joël Pommerat, déjà son compère il y a trois ans sur Au Monde. Ici, le conte philosophique met en scène un pantin hâbleur et tyrannique, maltraité dans sa quête d’humanité.
Retour à la maison
« C’est formidable qu’on commence avec une pièce comme ça, une pièce un peu initiatique », s’enthousiasme le compositeur de 81 ans. « Je travaille à La Monnaie depuis très longtemps, donc y retourner, quelle merveille ! On est déjà dans le conte de fées avant que ça commence quelque part. On avait un peu oublié ça. Donc c’est comme des retrouvailles, comme si on revenait d’un grand voyage et qu’on se sent à nouveau chez soi ».
Car La Monnaie n’a pas vraiment changé de visage. Certes, les fauteuils de la salle de spectacle sont flambant neufs, mais ils ont été remplacés à l’identique.
Une nécessaire mise aux normes
Les travaux ont essentiellement consisté à moderniser toute la machinerie du Théâtre royal de Bruxelles. Une mise aux normes qui lui permettra de multiplier les coproductions avec les autres grandes maisons d’opéra à travers le monde. Des ascenseurs hydrauliques permettant de monter les décors sur scène en silence pendant les spectacles ont ainsi été installés, un nouveau système de climatisation mis en place et pour réduire la facture d‘électricité, le théâtre est passé à l‘éclairage led…
Les coproductions permettent en effet aux théâtres d’amortir le coût des spectacles. C’est le cas pour Pinocchio. Créé pour le Festival d’Aix-en-Provence en juillet dernier, il sera à l’affiche de l’Opéra de Dijon du 6 au 10 octobre, puis à l’Opéra national de Bordeaux du 14 au 18 mai 2018.
Délicieux OVNI
Un délicieux OVNI que ce Pinocchio de Philippe Boesmans. Le compositeur a travaillé avec Joël Pommerat pour transformer en livret la pièce de théâtre à succès écrite par le Français, s’inspirant du célèbre conte de Carlo Collodi. Le compositeur a écrit la musique au fur et à mesure que le livret avançait.
Le résultat : un opéra récitatif en français qui s’apparente davantage à du théâtre chanté. De nombreuses parties sont d’ailleurs parlées. On soulignera la performance épatante du baryton français Stéphane Degout, passant avec aisance du chant à la déclamation dans son rôle de directeur de la troupe, mais aussi en tant que premier escroc, deuxième meurtrier et directeur du cirque.
Epoustouflante également dans le chant comme dans la performance théâtrale, la soprano et mezzo-soprano Chloé Briot campe Pinocchio. « Très honnêtement, chanter du Philippe Boesmans, c’est très confortable », assure-t-elle avant de préciser : « Finalement, je ne me pose jamais de questions quand je me mets à chanter cette partition-là. C’est comme dans un chausson. Donc j’ai pu aller justement à fond dans le jeu de comédienne ».
Un compositeur bienveillant
Le chef d’orchestre Patrick Davin travaille depuis longtemps avec Philippe Boesmans à Bruxelles. « Ce qui est formidable chez lui, c’est qu‘à n’importe quel moment, vous en écoutez 5 secondes et vous reconnaissez la couleur Philippe Boesmans ! » dit-il. Cet adepte du contemporain loue le compositeur belge pour sa capacité d‘écoute et sa diplomatie avec les interprètes. « Tous les compositeurs ne sont pas comme ça, certains sont paralysants parce qu’ils projettent leurs propres angoisses ».
Avec Philippe Boesmans, la collaboration s’est faite main dans la main. « C’est bien de parler avec les compositeurs avant, quand on prépare, voir un peu ce qu’il voulait faire, la germination de ses idées parce qu’elles aident parfois à trouver la solution », explique Patrick Davin. « On rêverait d’avoir Verdi qui vient vous taper sur l‘épaule en disant : ‘C’est bien ce que vous faites là !’ ».
La retraite ? Quelle retraite ?
Il a fallu deux ans à Philippe Boesmans pour composer la musique de Pinocchio. « Je suis un compositeur lent », s’amuse-t-il, malicieux. « Au moment de l‘écriture, on doit être très lucide et à la fois sensible. On doit être lucide parce qu’il y a beaucoup de choses à la fois : il faut penser à tous les instruments, aux chanteurs, au théâtre. Est-ce que ce sera juste ? Est-ce qu’ils ont le temps de faire ça ? »
Un travail de titan qui ne l’empêche pas de discuter… D’un huitième opéra ! En attendant, il compose de la musique de chambre « pour me reposer un peu », précise-t-il. La retraite ? Il n’y pense même pas. « Je me demande ce que je ferai si je ne compose plus. Si je ne compose plus, je deviens dépressif », confie-t-il, avant d’ajouter dans un petit éclat de rire : « Ce n’est pas encore le cas ! »
Photo : Pinocchio de Boesmans à La Monnaie © Hofmann