Les deux concerts présentés sur ce programme, séparés par un peu plus de cinq ans, présentent deux Benjamin Britten très différents. Le premier, à Croydon, en décembre 1964, montre Britten au faîte de ses facultés. À cinquante et un ans, il est mince et en forme, plein d'énergie, le regard perçant, les cheveux bruns coupés courts. Il a mis au goût du jour l'habit de son père, qui lui a rendu de bons et loyaux services dans les années 1930 et 1940, et le complète avec des chaussures en cuir verni. Il est le compositeur récent du War Requiem, œuvre de renommée internationale, et sera bientôt nommé à l'Ordre du mérite. Il se rendra en Inde quelques semaines après le concert, dans le cadre d'une année sabbatique en demi-teintes.
Le second concert est le gala de réouverture de la salle de Snape Maltings en juin 1970 après un incendie dévastateur l'année précédente. La chevelure de Britten est grise, son visage, bouffi, son allure, celle d'un vieillard. Il est habillé comme pour une investiture (de manière fort appropriée, puisque la reine est dans le public), et, bien que son interprétation des deux mouvements centraux de la Troisième Symphonie de Mendelssohn soient un modèle de fougue et de retenue, il achèvera le concert en dirigeant des scènes de son opéra Gloriana la tête dans la partition, la sueur ruisselant sur son front et embrumant ses épaisses lunettes.
Il était gravement malade en 1970, mais ne le savait pas encore. Deux ans plus tôt, on lui avait diagnostiqué une endocardite et il avait subi un traitement de choc à la pénicilline. Il semblait s'en être remis, mais son cœur était affaibli par l'infection, et un diagnostic d'insuffisance aortique, en août 1972, montrerait la nécessité d'une transplantation cardiaque. Ses proches n'avaient pas remarqué son déclin physique; seule la juxtaposition de ces deux concerts le rend si évident. Bien que sa maladie affecte inévitablement la manière dont on écoute maintenant ses interprétations de la fin des années 1960 et des années 1970 et dont on songe aux œuvres qu'il écrivait, Britten put continuer à faire de la musique jusqu'en 1973, où une attaque dont il fut victime sur la table d'opération mit un terme à la plupart de ses activités autre que la composition. Du reste, il était déjà avant cela un chef quelque peu maladroit. Marjorie Fass, qui faisait partie du cercle de Frank Bridge et fut une figure maternelle pour Britten dans les années 1930, le décrivait ainsi en 1938 : « S'il continue toujours ainsi il ne sera jamais chef d'orchestre – on n'a jamais rien vu d'aussi raide et d'aussi retenu. » Il acquit une plus grande aisance physique au fil des ans, mais l'intérêt de la direction de Britten n'a jamais été l'allure qu'il avait en dirigeant ; c'était plutôt la pure musicalité qu'il y mettait, et que les musiciens d'orchestre britanniques, habitués à un régime appauvri de chefs aristocrates fanfaronnant, appréciaient considérablement. Il ne se livrait pas non plus aux pitreries de Leonard Bernstein au pupitre – les grands sauts, le sourcil haussé et le sourire entendu ; Britten admirait avec circonspection son contemporain américain, mais ils n'avaient pas assez de points communs dans leur tempérament pour être amis, à plus forte raison rivaux. Britten était poli et direct avec ses musiciens, leur parlant avec un accent qui avait depuis longtemps perdu toute trace de son enfance à Lowestoft et s'exprimant avec une grâce exquise. On peut penser que son physique le gênait parfois – beaucoup plus qu'au piano. Mais c'était rare. Et il compensait toute maladresse physique en travaillant constamment avec les mêmes musiciens, qui le comprenaient, ayant une prédilection particulière pour l'English Chamber Orchestra.
L'interprétation que Britten donna de la Symphonie n°40 de Mozart en 1964 résume tant d'aspects de sa direction. Ce sont des images révélatrices, avec des gros plans sur son visage sans sourire, et une conception du concert d'orchestre filmé bien plus moderne que tout ce qu'on avait pu voir auparavant avec Britten. Certains détails sont charmants – notamment le moment où il s'essuie le front avec le dos de la main qui tient la baguette, au beau milieu d'une battue –, et ce qui se dégage de cette interprétation sans manières est l'admiration de Britten pour une œuvre qu'il connaissait bien depuis son enfance. (« La superbe sol mineur de Mozart », écrit-il à propos d'un concert de Bruno Walter en 1934, « certainement la musique la plus ravissante jamais conçue. ») C'est un concert de son temps, non seulement à cause des images de jeunes hommes en veston coiffés comme les Beatles parmi le public, mais en raison de la douceur de l'interprétation, de sa subtilité et du généreux vibrato des cordes; une nouvelle lignée de chefs mozartiens allait bientôt émerger, et, même si elle devait reprendre le petit pupitre de cordes que Britten utilise ici (huit premiers violons, six seconds violons, quatre altos, quatre violoncelles et deux contrebasses), leurs tempi rapides et leur sonorité souvent aride seraient bien différents.
Britten est tout aussi peu démonstratif en dirigeant son Nocturne lors du même concert – une évocation de pensées nocturnes et d'ambiances de toute sorte. Il y a d'occasionnels éclairs du regard ou gestes du doigt, mais, pour l'essentiel, dans cette partition difficile, il guide impassiblement ses musiciens, qui réagissent en comptant comme des forcenés. Il garde une légère distance, même en dirigeant sa superbe partition sur le Sonnet 43 de Shakespeare (« When most I wink, then do mine eyes best see » – « C'est surtout quand mes yeux se ferment qu'ils voient le mieux »), laissant la musique opérer sa magie. Pears a une sonorité fraîche et dynamique et, bien qu'il s'agrippe à sa partition – sa mémoire était alors peu fiable –, il ne l'utilise pas. Cette interprétation forme un complément à l'enregistrement en studio spacieux et coloré que Britten et Pears ont fait du Nocturne, nous livrant un aperçu intime sur la manière dont les musiciens travaillaient en public l'un avec l'autre – l'ensemble et le soutien infaillibles, le regard d'admiration de Britten lorsqu'il serre la main de Pears à la fin du concert.
Le film de Snape est tout aussi révélateur. La couleur mielleuse n'est pas une monstruosité de la pellicule ou du laboratoire ; c'est bien l'aspect des Maltings sous les lumières, aujourd'hui encore. Et ce n'est pas simplement le film en couleur qui fait paraître l'interprétation beaucoup plus contemporaine que le concert de 1964 : même en si peu de temps, le style a changé et de l'orchestre, qui n'est pas en tenue de concert, se dégage un individualisme marqué, la grande conquête des années 1960. On y retrouve les caractéristiques de Britten – phrasé subtil, rubato posé, structure claire et énergie –, et ce sont ces qualités qu'il faut se rappeler, et non l'apparence d'un grand musicien du XXe siècle sur le déclin.
Paul Kildea
Traduction : Dennis Collins