Une communion dans l'art, par Claudio Abbado.
C'est avec son « orchestre de solistes », ce Lucerne Festival Orchestra fondé en 2003 et réunissant à chaque pupitre des musiciens « star » de leur instrument, que Claudio Abbado interprétait en août 2010 cette Symphonie n°9 de Mahler, la dernière du compositeur, véritable sommet du cycle entrepris par le chef et l'orchestre.
On a souvent pu constater que le Mahler de Claudio Abbado est ample, paisible, voire « lumineux, fluide, d'une fabuleuse transparence orchestrale » (Christian Merlin). Une interprétation dont certaines inflexions, comme le long pianissimo final de cette Symphonie n°9, prennent des accents fantomatiques. On a aussi beaucoup comparé le Mahler de Claudio Abbado à celui de Bernstein, et cette interprétation de la Neuvième en est la motivation ultime. Car malgré l'approche radicalement différente que les deux géants de la direction ont de l'œuvre, tous deux y injectent cette même émotion, cette contradiction poignante entre l'angoisse de la mort et la lutte pour la vie.
Observez d'ailleurs le visage de Claudio Abbado, et vous constaterez avec quelle aisance on peut lire la partition en lui. Car si l'on perçoit presque un sourire sur les lèvres du chef tout au long du rondo, on reconnait aussi la meurtrissure qui transparaît sur son visage à mesure que l'adagio se déploie. L'aura et le génie d'Abbado faisaient de lui un homme aux émotions communicatives – ses musiciens témoignent du fait que c'était un chef peu loquace, et dont les gestes suffisaient à la compréhension d'une œuvre. L'attitude du public à la fin de l'exécution de cette symphonie, ce silence parfait qui excède deux minutes, rappellent à quel point le chef savait installer une atmosphère.
La communion dans l'art, voilà quel était le pouvoir presque sacré de Claudio Abbado.