Sous la baguette de son directeur musical Yuri Temirkanov, l'Orchestre Philharmonique de Saint-Pétersbourg interprète la Symphonie n°94 de Haydn et la Symphonie n°13, sous-titrée Babi Yar, de Chostakovitch.
La Symphonie n°94 en sol majeur de Haydn composée en 1791 est plus souvent connue par son épithète Surprise. L'intention initiale du compositeur était d'ajouter au thème principal quelques variations aux accents tantôt simples, tantôt dramatiques; par la suite, le soudain fortissimo brisant brusquement la ligne musicale fut qualifié de sa bouche comme d'un effet qui « pourrait faire bondir les dames ! »
Considéré comme l'un des chefs d'orchestre les plus emblématiques au monde, Yuri Temirkanov est un spécialiste du répertoire russe, notamment de celui de Chostakovitch. En seconde partie de ce concert, Temirkanov dirigera la Symphonie n°13 dite Babi Yar du compositeur. C'est une œuvre engagée, chantée sur le thème de cinq poèmes d'Evgueni Evtouchenko, qui y dénonce le massacre par les nazis de plus de 33 000 personnes, parmi lesquelles se trouvaient de nombreux juifs. Ce crime odieux, perpétré en 1941 à Babi Yar en Ukraine, a été longtemps occulté par le régime soviétique. Yuri Temirkanov a déjà enregistré l'œuvre en 1995. Pour ce concert à la Philharmonie de Saint-Pétersbourg, il est rejoint par la basse Petr Migunov, soliste du Théâtre du Bolchoï, qui a fait ses débuts à Carnegie Hall et au Lincoln Center en 2000.
« Au-dessus de Babi Yar, il n'y a pas de monument :
L'escarpement est comme une grosse pierre
Tombale.
J'ai peur,
Aujourd'hui je me sens
Aussi ancien que le peuple juif.
Je me sens comme si … : me voilà Juif. »
(Babi Yar, Poème d'Evgueni Evtouchenko)
Yevgeny Mravinsky, créateur attitré des symphonies de Chostakovitch depuis 1937, devait diriger la première de la symphonie Babi Yar, mais par crainte de représailles sous le régime de Khrouchtchev, il ne souhaita pas diriger l'œuvre. Près de soixante ans plus tard, c'est Yuri Temirkanov, que tous considèrent comme l'héritier de Mravinsky (il fut son assistant à la tête de l'Orchestre Philharmonique de Leningrad), qui dirige cette œuvre historique.
Cette symphonie pour orchestre, basse et chœur d'hommes est originale en ceci qu'elle combine différents genres (la symphonie, la cantate, l'opéra) et par le caractère explicite des paroles. L'œuvre se construit autour de cinq mouvements évoquant tour à tour le martyre, l'irrévérence contre l'autorité stalinienne puis, dans l'allegretto final, le courage des hommes qui prirent des risques pour combattre l'idéologie totalitaire. Dans cette interprétation orchestrale de l'horreur et malgré la noirceur de son thème, cette Treizième Symphonie développe un sujet poignant dont la portée ne peut être qu'universelle.
Photo : © Mary Slepkova
Dmitri Chostakovitch : Symphonie n°13. © Editions Le Chant du Monde, Paris.