Né en 1912 en Hongrie, Georg Solti, de son vrai nom György Stern (nom qu’il changea dès 1930) étudia le piano à la célèbre Académie Franz Liszt de Budapest. Ses professeurs étaient alors : Dohnányi, Bartók et surtout Léo Weiner. Armé de ses diplômes, Solti trouva aisément un emploi de répétiteur à l’Opéra de Budapest où il débuta en 1938 dans Les Noces de Figaro. Il fut ensuite appelé, en 1936 et 1937, comme assistant de Toscanini au Festival de Salzbourg. La guerre stoppa net ces débuts prometteurs. En raison de ses ascendances juives, il se réfugia en Suisse où il survit très difficilement en se produisant comme pianiste dans des endroits miteux.
Dès 1947, il fit ses débuts discographiques pour Decca comme pianiste en accompagnant le violoniste Georg Kulenkampff dans des sonates de Brahms et Beethoven. Il réalisa dans la foulée son premier enregistrement : l’ouverture Egmont avec l’Orchestre de la Tonhalle de Zurich, l’expérience étant concluante, il rejoignit Londres, où il grava en 1949 la Symphonie n°103 de Haydn avec le London Philharmonic, suivie de quatre ouvertures de Franz von Suppé qui furent remarquées par Toscanini. L’aventure se poursuivit avec des Bartók tranchants et puissants. La carrière du chef était définitivement mise sur orbite. En 1951, il effectua ses débuts comme chef au festival de Salzbourg dans Idomeneo. Quittant Munich, il posa ses valises, jusqu’en 1961, à Francfort. L’année 1957 vit ses débuts houleux avec l’Orchestre Philharmonique de Vienne pour un enregistrement d’Arabella de Richard Strauss. Mais le succès de ce coffret et d’autres enregistrements réchauffa les relations entre le chef et les musiciens.
L’année 1958 fut marquée par les prises studio du Rheingold, première étape de l’enregistrement de la Tétralogie de Wagner, le premier en stéréo. À la tête du philharmonique de Vienne et des meilleurs chanteurs wagnériens du moment (Birgit Nilsson, Hans Hotter, Gottlob Frick, Wolfgang Windgassen) et avec le grand John Culshaw aux manettes techniques, ce coffret frappa les mélomanes internationaux et reste, près de 50 ans après les prises un incontournable must technique et artistique.
Après un très bref passage d’une saison à l’Orchestre de Dallas (1961-1962), il fut nommé directeur musical du Royal Opera House de Covent-Garden restaurant le prestige vocal de cette institution. Il imposa sa réputation internationale par une Frau ohne Schatten impériale et par les premières anglaises de Moses und Aron de Schœnberg et du Ring de Wagner. En 1969, il fut désigné directeur musical de l’Orchestre Symphonique de Chicago avec lequel il avait fait ses débuts au festival de Ravinia en 1954. Avec cette formation auprès de laquelle il resta toujours très attaché, même après son départ du poste de chef principal en 1991, il dirigea 999 concerts. La précision radicale des pupitres et le son très incisif des musiciens semblaient être le prolongement du bras de Solti. À la tête de la phalange étasunienne, il grava des cycles Beethoven, Brahms, Bruckner et Mahler qui firent date. Il donna également de nombreuses premières mondiales dont la Symphonie n°3 de Witold Lutosławski et la Symphonie n°4 de Michael Tippett.
En 1972, il accepta la direction de l’Orchestre de Paris après le départ de Karajan. Face à la désinvolture nonchalante des français, l’alliage fit des étincelles. Solti voulait faire de l’Orchestre de Paris un nouveau Chicago, mais les deux parties restèrent dans leur incompréhension réciproque : le chef pestant contre l’indiscipline forcenée des parisiens et les musiciens contre son absence de disponibilité car son cœur battait à Chicago. Ce mandat se clôt en 1975 par une Symphonie n°8 de Mahler dont les murs du Palais des Congrès tremblent encore. Un seul enregistrement de poèmes symphoniques de Liszt (difficilement trouvable) témoigne de ce trop court passage. Pourtant, Solti resta fidèle à cet orchestre acceptant de le diriger presque chaque saison, et constata de lui-même que les mariés s’entendirent mieux après le divorce. Entre temps, Solti partagea son temps parisien avec l’Orchestre de l’Opéra de Paris. À l’initiative de Rolf Liebermann, il conduisit quelques productions avec le titre de directeur musical dont une légendaire série de représentations des Noces de Figaro dans la mise en scène de Strehler et un Otello avec Placido Domingo et Margaret Price.
En 1979, le chef accepta de prendre la tête de ses vieux compagnons du London Philharmonic, assurant encore jusqu’en 1983, une nouvelle charge sur deux continents. Grand wagnérien, le premier a avoir bouclé l’enregistrement quasi-intégral des opéras du maître de Bayreuth, le sage hongrois se devait de faire ses débuts sur la colline verte. Las, sa Tétralogie marquant les 100 ans de la mort du compositeur, scénographiée par le grand Peter Hall qui avait l’impossible défi de passer après celle de Chéreau, fut un cruel échec accentué par une distribution à la dérive. Fâché avec l’opéra, Solti ne reviendra dans la fosse qu’à la toute fin de sa vie : à la mort de Karajan, il fut contacté par Gerard Mortier pour assurer pendant deux saisons la direction du festival de Pâques de Salzbourg (1993, 1994). Le décès du chef autrichien lui permit également de diriger et d’enregistrer Richard Strauss avec la Philharmonie de Berlin. N’ayant jamais digéré de s’être fait piquer le premier enregistrement stéreo de la Tétralogie de Wagner, Karajan le tenait très à l’écart de sa formation comme de nombreux chefs de grand talent à l’image de Bernstein, Celibidache ou Wand. En 1995, pour les cinquante ans de l’ONU, il fonda le World Orchestra for Peace, formation éphémère regroupant les meilleurs solistes des orchestres de la planète.
Toujours à la recherche de jeunes talents, Solti fut le mentor de chanteurs et de solistes comme Sylvia Sass ou Renée Fleming pour laquelle il accepta, pour la première fois, d’accompagner un récital avec orchestre. En 1994, il fonda à New-York, le Solti Orchestral Project qui visait à former les jeunes musiciens étasuniens.
Naturalisé citoyen britannique en 1971, il fut élevé au titre de Commandeur de l’Empire britannique dès 1972. Marié en 1946 avec Hedi Œchsli dont il divorça, il épousa en second mariage la présentatrice télévisée de la BBC Valerie Pitts. L’année 1997, vit la publication posthume de ses mémoires coécrites avec Harvey Sachs.
Produit de la vieille école hongroise des Szell et des Reiner mais marqué par l’influence de Toscanini, Solti était un chef autoritaire intransigeant au style immédiatement reconnaissable : c’est vif, sanguin, puissant mais à la fois chantant et musical. Bien évidement, il est quasi impossible d’analyser une telle discographie bardée de si nombreuses récompenses dont 33 Grammy Awards. Mais à l’occasion des célébrations des dix ans de sa mort, Decca réédite des classiques du genre et un inédit.