Lorsque le violoniste Augustin Dumay dit un jour à Karajan : « Bonjour, Dieu », Karajan répondit, imperturbable : « Vous êtes le premier qui ait eu le courage de me le dire en face ». Artiste inspiré, star, dieu ou tyran, KARAJAN ne laisse pas indifférent. Adoré ou maudit, il est l’un des chefs d’orchestre les plus marquants du XXe siècle.
Karajan est le fils d’un chirurgien amateur de musique qui, à ses heures perdues, échange son bistouri contre une clarinette. A l’âge de cinq ans, Herbert prend ses premières leçons de piano avec Franz Ledwinka, pédagogue réputé, puis au Conservatoire du Mozarteum de Salzbourg. Parallèlement, il effectue des études scolaires techniques et écrit une thèse fort artistique : « Thermodynamique et moteurs à explosion ». Une malformation des tendons des doigts lui fait renoncer au piano et il se tourne vers la direction d’orchestre qu’il étudie, de 1926 à 1929, à l’Académie de Musique de Vienne.
En 1929, il dirige son premier concert au Mozarteum. De 1935 à 1941, à Aix-la-Chapelle, il est le plus jeune directeur général de la musique de toute l’Allemagne. Mais Karajan est toujours le premier en tout, divinité oblige ! En 1937, il fait ses débuts à l’Opéra de Vienne, puis en 1939 à l’Opéra de Berlin où il est chef permanent jusqu’en 1945.
En 1946, il est nommé à la tête de l’Orchestre Philharmonique de Vienne mais il est interdit de direction pendant presque deux ans en raison de son adhésion au parti national-socialiste. De 1950 à 1959, il est chef permanent à Londres du Philharmonia Orchestra. A partir de 1954, sa carrière va exploser en succédant à Furtwängler à la tête du prestigieux Orchestre Philharmonique de Berlin. Grâce à Karajan, l’Orchestre atteindra un niveau inégalé avec des tournées mondiales et des enregistrements légendaires. En 1957, Karajan succède à Karl Böhm à la tête de l’Opéra de Vienne. Son autorité despotique ainsi que ses exigences budgétaires astronomiques provoquent sa démission en 1965. Il rejoint le directoire du Festival de Salzbourg entre 1965 et 1988. Sa carrière médiatique prend de l’essor avec le succès de La Bohème mise en scène par Zefirelli.
En 1969, Karajan succède à Charles Münch comme conseiller musical de l’Orchestre de Paris. Il démissionne en 1971 car notre super star ne parvient pas à obtenir les conditions de travail dont il rêve et on lui reproche de consacrer peu de temps à ce jeune orchestre.
A partir de 1985, une polyarthrite l’oblige à diriger assis. Il entre en conflit avec l’Orchestre Philharmonique de Berlin à propos de la jeune clarinettiste Sabine Meyer qu’il avait engagée sans l’assentiment de l’orchestre. Les anti-Karajan affichent le slogan « Seul un Karajan mort est un bon Karajan ». Il démissionne de l’Orchestre Philharmonique de Berlin en 1989, année de son décès. « Dans une vie prochaine, je serai peut-être un faucon », se plaisait-il à dire.
Chef d’orchestre éminent, skieur émérite, pilote d’hélicoptère chevronné et remarquable homme d’affaires, Karajan cultive la perfection, la vitesse et la réussite. Il possédait un bateau ultra rapide de vingt-cinq mètres ainsi qu’un avion Falcon 10 de Dassault. Ce qui fit dire à ses détracteurs que son amour de la musique allait de pair avec celui de l’argent !
Quoiqu’il en soit, Karajan est incontestablement un extraordinaire chef, qui possède une prodigieuse science de l’orchestre et qui nous laisse une discographie incomparable par son foisonnement et sa qualité. Certes, son intolérance a pu choquer, ou amuser. Comme le jour où il exigea l’arrêt immédiat d’une pompe à eau alimentant cent cinquante appartements autour de Carnegie Hall, car elle produisait un imperceptible ronflement. Caprice ou souci exacerbé de la perfection ? N’oublions pas que KARAJAN lui même se remettait perpétuellement en question et possédait un profond amour de la musique : « Chaque concert est une expérience mystique, une extase… C’est une forme de grâce ».
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